Ainsi parlait la Nuit Debout

« Au jour d’aujourd’hui, dans ce monde saturé d’informations »… Non je déconne, c’était l’instant « faites criser les profs en faisant l’intro de sujet la plus naze et banale possible« . Parfois, tiens, je me demande ce qu’il voulait, en fait, mon prof de philo. A part faire tout sauf prof, je veux dire. Je ne sais pas. Essayons.

« Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine – lointaine bis, c’était vachement loin – et dénuée de toute forme d’internet malgré la présence de sabres lasers », il existe des choses peu connues. Qui sait que mon chauffe-eau vient de tomber en panne? Vous, désormais. Qui sait que:

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Ce qui reste tout de même bien moindre que le nombre de divinités par hectares en Inde, quelque part.

Qui sait ce qu’est la Nuit Debout, et question bis: qui est au courant de son existence? Insomniaque comme je suis, moi j’ai vu ça, ça m’a interpellé. Genre une grève anti-matelas, quelque chose qui ferait un nom idéal pour les cocaïnomanes anonymes. Une épidémie de gastroentérite nocturne? Un appel à faire un one man show de Jamel scandé par un clampin écrasé par un bus sur la dernière syllabe? Ben non, figurez vous:

Sais-­tu ce qui se passe là ? Des milliers de personnes se réunissent Place de la République à Paris, et dans toute la France, depuis le 31 mars. Des assemblées se forment où les gens discutent et échangent. Chacun se réapproprie la parole et l’espace public.

Ni entendues ni représentées, des personnes de tous horizons reprennent possession de la réflexion sur l’avenir de notre monde. La politique n’est pas une affaire de professionnels, c’est l’affaire de tous. L’humain devrait être au cœur des préoccupations de nos dirigeants. Les intérêts particuliers ont pris le pas sur l’intérêt général.

Chaque jour, nous sommes des milliers à occuper l’espace public pour reprendre notre place dans la République.Venez nous rejoindre, et décidons ensemble de notre devenir commun.

Dixit leur site.

Remarquez, à la vue des signaux dédiés à l’événement, on se prend à réétudier la piste des cocaïnomanes en pleine crise de gastro:

Non en vrai

Non en vrai ces signaux ont été étudiés pour être lisible dans une foule sans pour autant gêner les débats. Probablement par un(e) transfuge du Club de Dorothée.

Je noterai bassement, mais pour la science, que Nuit Debout discrimine les amputés. Mais j’éviterai de leur dire, sinon on va partir sur des heures de débat stérile et personne ne sera d’accord à la fin du départ sur le terme même d’amputés. Sont-ce des non-préhensiles? Des sans-mains? Short is Beautiful? Le terme même d’amputé n’indique t il pas une emprise idéologique du Système productiviste qui rabaisse les mains au rang d’outils sans âmes du grand capital? Puis là un gentil zozo proposerait de les nommer les augmentés pour souligner leur courage et leur supplément d’âme, lequel compense avec justice l’interdiction du chocolat. Putain figurez vous qu’il existe une page wikipedia pour ça.

Car comme le résume avec brio cette star que je ne nomme plus, jusqu’ici la Nuit Debout se distingue par sa capacité industrielle à faire ramasser la savonnette aux drosophiles.

Splendeur et décadence de l’apolitique

Car ce qui reviendra en premier, en dernier, en itérations stylistiques, en déhanché brésilien, c’est que Nuit Debout est « un mouvement citoyen apolitique ». Revenons aux basiques: tout acte impliquant plus d’un homo sapien EST politique. Manger une pomme est le fruit d’un arbitrage de votre utilité marginale sous contrainte de budget, d’ailleurs acheter une pomme ou une autre est un choix qui porte à conséquences dans divers rapports de force, et cette fameuse contrainte de budget existe parce que vous avez la malchance de ne pas encore vivre dans un monde communiste où dans un futur Star-Trekien où la productivité tend vers l’infini et rend caduque toute notion d’économie telle qu’on la connait et je suis content d’écrire ça plutôt que le dire parce que ça va devenir chaud de respirer essayez pour voir moi en plus je suis fumeur je vous explique même pas le défi.

Même sans rentrer dans l’apoplexie: à partir du moment où un mouvement revendique un truc, il EST politique. Même se revendiquer apolitique est politique: c’est du néolibéralisme plus exactement, et un fer de lance du post-modernisme, pour les friands de termes.

D’ailleurs il suffit de relire la présentation tirée du site de Nuit Debout: ce mouvement se déclare explicitement politique. Deal with.

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J’espère bien que vous vous méfierez des pommes, désormais. Chirac ne s’y trompait pas en appelant subtilement à leur extermination.

Mais de nos jours où tout est relatif sauf la banane qui l’est deux fois, il est de bon ton de se dire apolitique. Du coup je me suis bêtement dit que ce serait carré. J’en connais qui ne font pas de politique, ce sont les tacticiens. La tactique sert une politique (la stratégie), mais se contrefiche d’en faire elle-même.

Or c’est incroyable ce que ça discute stratégie. Chacun a de grandes idées et n’hésitera pas à faire dévier n’importe quel sujet pour en parler. Et que faire quand on aura envahi l’Elysée. Et comment tout réorganiser magiquement sans se soucier d’aucune variable et surtout pas des humains. Prenons le sujet du Revenu Universel de Base.

  1. Bon déjà on en est à établir s’il faut nommer ça un RUB, un salaire à vie, un droit à l’existence, ou autre.
  2. Je n’ai pas croisé une seule personne questionnant les aspects techniques. Si je résumes des heures de litanies, ça donne: « oui au RUB ». Quand, comment? Avec quelle faisabilité, quels effets, quelles précautions? Boarf.

Ah et il est aussi capital d’entamer une charte éthique. Et de voter sur la façon de voter. Clair qu’avec des centaines de milliers de partisans ça commence à devenir urgen- … Attendez. Non, on est 50, à la Nuit Debout de Bayonne.

A 50, la priorité est de survivre, poser des actes, chercher des alliés, monter la logistique de base.

Un bon point. Dans mon cru, une participante a souligné que picoler des bières sur une place publique faisait plus punk pas sérieux qu’assemblée de sages. J’aurai bien applaudit (ou fait le ventilo avec mes bras) si je n’avais pas un verre de blanc à la main à ce moment. Elle avait carrément raison.

Mais revenons en à l’apolitisme. Que se passe-t-il quand on est apolitique? On ne trouve pas d’alliés, déja. ces salaupiots là sont politiques. Des associations locales (à savoir « puissantes et basques et re basques derrière), aucune ne soutient Nuit Debout. Alors que le levier à chercher c’est eux. Pourquoi? Vendredi dernier, deux militants sont venus en sympathisants. Ont glissé qu’ils étaient de telles assoces en mode « coucou, on est du même camp c’est cool ». Un intervenant a suivi pour s’indigner que « si vous étiez avec nous pourquoi que vous avez pas déja fait des choses? Et nous on est pas une assoce on est Nuit debout ». Je prend rendez vous dans 4 ans pour voir cette même personne plaider « nous on est pas Nuit Debout! Nous on est x ». Du grand art.

Enfin je note que l’apolitisme fait la manif contre la loi El Khomri ce jeudi. C’est à la fois mignon et terriblement gênant de retrouver du totalitarisme aussi rapidement, en fait: l’ennemi (déja, le terme) n’est pas un être rationnel, d’ailleurs la politique n’existe même pas: il y a nous et le reste. Même il n’y a que nous et There Is No Alternative (TINA)… Je me demande donc si Margaret Thatcher serait venue à Nuit Debout.

Et puis nous c’est qui?

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Entamons par les bonnes nouvelles: si j’ai ouï-dire qu’à Paris le djembé vit encore, cracheurs de bolas en équilibre sur des balles ou l’inverse inclus, je vous annonce avec émotion que cette abomination n’a plus court dans mon coin. J’ai moi même cessé de jongler il y a quelques temps déja. Déjà ça de gagné.

De ce que j’ai compris, nous c’est les citoyens. Dans les présents, une majorité de chomeurs de retraités ou d’etudiants… Clair que prendre deux soirs par semaine quand on bosse ou qu’on a des gosses, c’est chaud. Comme le soulignait un autre participant, peut être faudrait il faire ça en journée aussi de temps à autres.

Mais ce n’est pas le pire. Un mouvement qui se veut massif et qui s’installe en centre-ville s’est déja crevé les pneus sur une herse: la base de colère est de plus en plus périurbaine. Et se fiche bien des « bobos gauchiasse de centre-ville » pour résumer avec le langage fleuri de la sémillante nouvelle extrême droite.

Mais ce n’est toujours pas le pire. Le pire est dans ce lien. Le coeur, la base, les citoyens en colère sourde et déclassés… Eux n’ont même pas le temps libre pour aller s’asseoir en rond sur une place deux jours par semaine. Et inversement tout le monde se fout de trouver une façon de les atteindre.

Quoi, j’ai dit que c’était le pire. Non on y est toujours pas au pire. Outre que Nuit Debout ne concerne qu’on noyau dur déjà « spécialisé » dans tout ça (pour ne pas les nommer: binoclards chevelus à vélo, profs divers, groupes gravitant autour de diverses assoces) le reste du panel se compose de l’extrême droite.

Attention, pas celle affichée. Nooon. celle qui ne sait même pas qu’elle en est vu qu’elle se pense apolitique. Je parle des amoureux de Pierre Rahbi, localistes, complotistes de tous poils. De fil en aiguille « les médias sont menteurs » mais Sputnik dit la vérité et Poutine est un grand homme. Déja contrairement à Obama il n’est pas reptilien, voyez vous.

Ce qui me semble le plus remarquable, c’est qu’à chaque fois que je tombe sur un « nationaliste de gauche » j’ai beau expliquer que ça a déjà été fait avec RIGOUREUSEMENT le même programme (virer les banquiers, corps et esprit sain, retour à une nature fantasmée, féodalisme localiste, retour aux frontières, haine du cosmopolisme) – sous l’appellation national-socialisme – l’interlocuteur est dans le déni total. Donc pour une fois je vais être totalement d’accord avec les antifas: oui les mouvements « citoyennistes » cachent un fond lourd et inquiétant, qui fleure remarquablement la même odeur et les mêmes racines que Hitler-ayé-point-godwin.

Malgré tout

Car il y a un mais.

Je reste emballé par l’idée, qui est déjà à sa base un acte: faire redevenir à une place ce qu’elle est, a savoir une agora. Où l’on discute tous. Enfin, des écolos conservateurs discutent avec des punks perdus qui avec des gauchistes déboussolés qui avec des clodos du coin qui avec des mabouls venus parler d’energies cosmiques. C’est très peu représentatif du peuple, mais c’est deja un pas qui se fait trop rare de nos jours: discuter avec autre que soi.

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Non merde surtout, pour une fois qu’on peut discuter sujets sérieux avec des inconnus sans faire bailler ou se retrouver face à l’équivalent intellectuel d’une moitié de poisson mort, je vais pas cracher dans la 1664.

Et si c’est des complotistes et autres qui ont réussi à faire ça, ça en dit moins sur leurs défauts à eux que sur l’incapacité des intellectuels sérieux à tenir le terrain.

Je vais continuer à y aller. En toute honnêteté parce que je suis juste à coté, et pour ce principe qui reste beau: celui d’agora. Je me retrouve à discuter politique (même si c’est beaucoup de merde complotiste, Rahbi, and so on) avec des inconnus et c’est beau.

Avec, oh allez, moi aussi quelque part ce rêve fantaisiste: tout faire péter, installer un gouvernement « provisoire », rééduquer par la force les masses récalcitrantes (pardon « les résistances isolées et à la solde de l’étranger »), découvrir que la méthode Rahbi sera extrêmement inefficace et impopulaire, mettre tout ça sur le dos des Etats-Unis… Bref, (ré)instaurer enfin une belle grosse dictature du prolétariat qui claque.

Je veux dire, contrairement à tout ceux qui se rendront compte trop tard à quel point la révolution c’est con, moi je le sais déjà. Du coup ça augure de belles barres de rires.

Sinon il faut trouver un moyen de discrètement placer un rassemblement du MEDEF, la Nuit Debout, les assoces, les antifas, les vendeurs de glaces, et les centristes, sur une même place. Afin de tout faire exploser à ce moment là BOUM de rétablir, un instant, une agora entre les citoyens. Qui sait.

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